Poème inédit

 

Garde-fous

« Et si l’aventure humaine devait échouer… » Théodore Monod

Il transgresse les principes et lois millénaires,

Mélange, transforme, transmute la matière,

La redéfinit, la reconstruit, la trahit.

Le transgénéticien, traque, séquence,

Brade et manipule à l’envi nos origines et notre patrimoine.

À l’infini il combine et recombine,

Recompose et s’approprie ce qui appartient à tous.

Il dépossède l’humain de son humanité,

Réduit le vivant à une valeur marchande et au profit.

Il remet en question l’essence même de l’homme,

Le profane, lui vole sa mémoire, ses pensées et sa conscience

Le ravalant, dans cette nouvelle société,

À un produit de consommation en série.

En son nom et celui du progrès, on dépouille, spolie

Et pille les pays de leurs richesses et de leurs diversités,

Brevetant à tour de bras tout ce qui vit,

Matière première par excellence des sorciers de demain.

 

Inconscient de la gravité de ses actes

Ou indifférent à ce qu’impliquent ses recherches,

Le transgénéticien clone, duplique et réplique avec exaltation.

Il modifie, désorganise, efface de manière irréversible

La mémoire du vivant et de la nature,

Tuant la diversité, brisant l’harmonie, semant le chaos,

Pervertissant et dénaturant par ces actions

L’ordre et l’âme du monde.

 

Le monde de demain est aux mains d’apprentis sorciers

Qui jouent sans gêne avec les gènes de la vie.

Bouleversant le monde ils veulent changer la donne,

Créer de leurs mains un nouvel homme,

Une nouvelle race, de nouvelles espèces ;

Ils veulent jouer à Dieu, « fabriquer » du vivant !

 

Dans ce monde où les nouvelles limites sont celles de l’imagination,

Où les frontières physiques et biologiques n’existent plus,

Où les seules lois sont celles du marché et du fric,

Où les croyances et l’espérance auront disparu,

Que deviendront les hommes ?

 

Soumise à la folie démesurée des scientifiques,

Nouveaux dieux modernes de la civilisation « high tech »,

L’humanité devient matière première biologique,

Matière à créations, à actions,

Otage d’une dérive mercantile et industrielle

Qui réinvente et façonne la vie en laboratoire.

Après avoir volé à l’homme sa liberté, son intelligence,

Sa mémoire, ses pensées et sa conscience,

On le dépossède à présent de ses cellules de ses gènes ;

On le déconstruit, on le reprogramme, on le recrée,

On le fait disparaître !

L’homme moderne a mis en marche sa propre disparition,

Le monde de demain ne lui appartiendra plus.

 

Étranger sur sa propre planète

Avec pour seuls dieux, les machines, les chimères

Et les monstres qu’il aura lui-même créés,

L’homme aura cessé d’être un homme !

Il avait été créé à la ressemblance de Dieu,

Il veut aujourd’hui créer des créatures à sa ressemblance.

Changer ou disparaître ?

Dans un monde où Dieu n’existe plus,

Qui pourra nous garder des fous ?

 

« Science sans conscience n ‘est que ruine de l’âme !» Rabelais

 

© Catherine Gaillard-Sarron 28.06.03