L’affaire de Noël
Nouvelle extraite du recueil « Des taureaux et des femmes » Ed. Plaisir de Lire
Cette fois, il se pourrait bien qu’on ait affaire à un mytho-mysticopathe !
Regardez, Maraud, il est entré par là ! On voit nettement les signes d’effraction sur la porte.
— Bon sang, reprit ce dernier, mais qu’est-ce qu’un type qui fait une chose pareille peut avoir dans la tête ?
— Vous savez, inspecteur, poursuivit le commissaire Harry Baud, Noël n’est pas une fête pour tout le monde. Pour certains, c’est même le pire moment de l’année. Ça leur rappelle leur enfance et tutti quanti et ça suffit parfois à leur tournebouler la tête.
— Quand même, ça fait froid dans le dos ce genre de truc. Je n’avais encore jamais vu ça commissaire.
— Moi non plus, Maraud.
— Commissaire, appela Escherin, venez voir à la cuisine. On a trouvé quelque chose qui peut vous intéresser.
Accroupie devant la poubelle, l’inspectrice en extirpait le contenu en se pinçant le nez.
— Beurk, ça pue ces machins ! Il y en a au moins quatre boîtes.
Au fur et à mesure elle posait les boîtes vides sur la table.
— Eh bien, son forfait ne lui a pas coupé l’appétit, remarqua Harry. Ce salaud s’est même tapé toute la réserve d’anchois de la maison, on dirait.
— Regardez, dit Escherin, il y a aussi des restes de saucisson et de la pizza ! Une vraie orgie ma parole !
— Heureusement que les gosses n’ont rien vu, dit Maraud pensif en regardant vers la cheminée. Lui avait deux petits mioches et il était sûr que la vision d’une horreur pareille leur ficherait des cauchemars pour des années.
— Oui, c’est vraiment un crime ignoble, soupira le commissaire. On n’a vraiment pas le droit d’infliger ça à des gosses.
Puis sans transition, il enchaîna :
— Nous avons encore combien de temps avant que les propriétaires ne réinvestissent les lieux ?
— Deux heures environ, dit Maraud. Après leur déposition de ce matin, je leur ai dit que nous aurions besoin de l’après-midi pour relever les indices. Ils doivent revenir vers seize heures. Ils pourront fêter Noël chez eux. Enfin, s’ils en ont toujours le cœur après ça…
— Est-ce qu’ils ont une idée du type qui a pu faire ça ?
— Aucune commissaire. Ils ne se connaissent pas d’ennemis et disent avoir été terriblement choqués ce matin lorsque, revenant d’un court voyage, ils ont découvert le corps pendu devant la cheminée du salon. Par chance les gamins n’ont pas assisté à l’hideux spectacle. Le père, alerté par ses marmots qui pleuraient – le père Noël installé contre la façade trois jours plus tôt avait disparu – s’est méfié d’un possible cambriolage et les a empêchés d’entrer. Il nous a appelés immédiatement.
— En tout cas notre assassin n’est pas très malin, ou il n’était pas dans un état normal, avança Harry. Il a laissé ses empreintes partout. S’il est fiché, on aura aucune peine à le retrouver.
Puis, dubitatif, il ajouta en se frottant le menton :
— Cette fois, il se pourrait bien qu’on ait affaire à un mytho-mysticopathe !
La sonnette les fit soudain sursauter.
— Escherin, allez voir qui c’est, dit le commissaire.
Puis se tournant vers Maraud :
— Allez, ce n’est pas tout, va falloir dépendre ce pauvre bougre.
La porte à peine ouverte, un cantique de Noël entonné par l’armée du salut retentit dans la maison. Le commissaire, contrarié, sortit à son tour et rejoignit l’inspectrice sur le perron. Avec un air de circonstance ils écoutèrent poliment la fin du morceau puis Harry, glissant un billet dans la marmite, les pria d’aller donner leur aubade un peu plus loin.
Entre-temps, à l’intérieur, Maraud avait trouvé un escabeau et tentait de dépendre la victime.
— Je n’y arrive pas, cria-t-il au commissaire qui refermait la porte. Tout est entortillé avec des fils de fer. Il me faudrait une cisaille ou un chalumeau !
— Je vais voir au sous-sol si je trouve quelque chose, proposa Escherin frigorifiée par l’intermède musical. Ça me réchauffera !
Harry, face à l’étrange spectacle qu’il avait devant les yeux et que plus rien n’étonnait après trente-cinq ans de service, ne put cependant retenir cette réflexion :
— Quand même, Maraud, il faut être soit complètement fou, soit se sentir terriblement malheureux, pour oser pendre le père Noël… !
© Catherine Gaillard-Sarron
Nouvelle extraite du recueil « Des taureaux et des femmes » 2010 Ed. Plaisir de Lire