Concours Littéraire AVE 2022

3e prix avec la nouvelle “Transe(a)gression”

 

Concours organisé par l’association vaudoise des Écrivains

Palmarès du prix littéraire de l’AVE 2022

1er prix :    Sarah Aubort Retrouvailles

2ème prix : Armelle Jenkins  Derrière le mur

3ème prix : Catherine Gaillard-Sarron Trans(a)gression 

Un Sillages hors-série pour LE PRIX LITTÉRAIRE 2022  sera mis sous presse pour mi-décembre.

Les résultats ont été proclamés le 16.11.22 à l’Hôtel de Ville de Lausanne. Le jury était composé de:

Solène Perriard, étudiante en master en français moderne, assistante-étudiante en recherche littéraire et membre de l’association PLUME EPFL.

Pasquier Karine Yoakim Pasquier – autrice, formatrice et chargée de projets-e-learning.

Delphine Chevalier, employée de commerce en reconversion, représente le club de lecture du café culturel l’Antenne à Sottens.

Cécile Beer Docteure ès lettres, enseignante de français à l’EPFL, et fondatrice d’Excellence.

Louis Polèse, Dr. en Droit social et  Affaires, Théologien, Homme de Lettres Franco-suisse.

 

 Lien Remise de Prix

Lire ma nouvelle “Transe(a)gression

L’endroit était isolé et désert, sorte d’hémicycle creusé dans la roche. Un peu partout des pierres éboulées jonchaient le sol. Ici ou là, dômes chevelus agités par le vent, des monticules de sable pétrifiés par le temps et couverts d’herbes folles semblaient monter la garde. Tout laissait à penser à une ancienne carrière. À juger les buissons de ronces et d’orties qui l’envahissaient, elle devait être désaffectée depuis longtemps. La maison, un peu en retrait et dissimulée par les arbres, était presque invisible. Masse sombre et trapue tapie à l’ombre de chênes centenaires, elle disparaissait sous la mousse et l’enchevêtrement des broussailles. Seul un œil averti pouvait la repérer. La porte était entrouverte et de puissants effluves de moisi s’en échappaient. Tous les carreaux des fenêtres étaient cassés mais l’intérieur était sombre, zébré ici ou là de rais de lumière translucides où dansait la poussière. Le plancher, vieux et défoncé par endroits, était recouvert d’une épaisse couche de poussière grise. Des toiles d’araignées d’une finesse et d’une envergure impressionnantes couraient d’une poutre à l’autre. Ces dernières, constellées de champignons brunâtres, paraissaient noires et gluantes. L’odeur de moisi était insupportable. Tous les murs en étaient crépis. Dans le coin opposé à la porte, un vieux fourneau rouillé et bancal semblait sur le point de basculer. Malgré la douceur du printemps, l’atmosphère était glaciale. L’humidité suintait de partout et d’incessants courants d’air parcouraient la pièce en tous sens. Tout ici sentait le tombeau, la mort…

Mathilde frissonna.

Et puis, là, juste au bas de l’escalier effondré, quelque chose attira soudain son attention. Quelque chose de rouge, quelque chose d’incongru dans ce caveau sinistre où la vie n’animait plus que les créatures de la nuit. Elle s’approcha lentement. Devant elle, se détachant avec netteté, de larges traces de pas marquaient le sol poussiéreux. Elles partaient de l’escalier et s’arrêtaient devant une sorte de trappe qu’elle n’avait pas remarquée et dont seule une poignée indiquait la présence. Son estomac se noua. Comme mue par un réflexe, Mathilde se retourna brusquement. Derrière elle, étrangement, aucune empreinte n’attestait de son passage. À cette constatation, un flot d’émotions violentes déferla en elle.

Les choses revenaient. Oh, mon Dieu ! Les choses revenaient !

Soumise à des forces qui semblaient la dépasser et en dépit de l’angoisse qui lui étreignait la poitrine, Mathilde continua cependant d’avancer. Elle se baissa pour saisir ce qui l’intriguait tant. Quand elle le tint entre ses mains, son cœur s’arrêta de battre et elle se sentit atrocement mal. Instantanément, elle sut que le petit gilet rouge qu’elle venait de ramasser appartenait à Mika, le fils de Jeanne, sa nouvelle amie.

À cet instant précis, un grand bruit la fit hurler d’épouvante et elle se réveilla.

Le cœur battant à tout rompre, Mathilde se retrouva en nage et haletante au travers du lit défait avec chevillé au ventre le terrible pressentiment d’une catastrophe imminente. Il lui fallut plusieurs secondes pour reprendre ses esprits. Dehors, les coups sourds du volet qui tapait contre la façade lui martelaient les tempes et l’ébranlaient jusqu’à l’âme. En plein désarroi, Mathilde, hagarde, tremblait de tous ses membres. C’était bien le claquement du volet qui l’avait tirée de son sommeil mais elle savait avec certitude qu’elle n’avait pas rêvé. Le fracas avait juste interrompu le phénomène. En un instant tout ce qu’elle croyait avoir enfoui à jamais au plus profond de sa conscience venait de resurgir et l’anéantissait.

Elle ne serait donc jamais libre ? Elle ne maîtrisait donc rien, rien !

Mathilde se retint de hurler. Non, elle ne voulait pas de ces choses ! Elle les avait toujours repoussées : de toutes ses forces et depuis toujours. Elles lui avaient coûté son bonheur, ses émotions, ses relations, sa vie : tout ce qui faisait qu’une existence valait la peine d’être vécue.

Complètement affolée, Mathilde sentit qu’elle perdait pied. Elle prit peur. L’angoisse, elle le savait, était un terrain propice au développement des choses. Dans ces moments-là, son esprit, vulnérable, devenait poreux, perméable : il était comme vampirisé. Mathilde se sentait littéralement habitée, hantée par tout ce qui la traversait alors.

Il fallait vite qu’elle se ressaisisse si elle ne voulait pas devenir leur proie. Qu’elle verrouille ses émotions, ce canal par lequel les choses transitaient. Il fallait qu’elle élève ce barrage mental qui jusqu’à présent lui avait permis de les endiguer : ce mur infranchissable derrière lequel elle se cachait depuis l’enfance. Mais face aux odeurs prégnantes de moisi qui infiltraient déjà la chambre, face à l’humidité qui montait du sol et au froid intense qui la glaçait jusqu’aux os, Mathilde comprit qu’il était trop tard. Les choses étaient là et l’envahissaient.

Les visions étaient revenues. Elles étaient revenues… et avec elles, l’angoisse et la terreur.

© Catherine Gaillard-Sarron 2022