Extrait du 3e roman de Catherine Gaillard-Sarron
« La Décision« sur la Méduse-ch
La Décision
Voir l’extrait 10.10.18
En observant la marche du monde, on s’aperçoit très vite qu’on élimine, les bons éléments, les honnêtes, les intègres et les probes du système…
Dans “La Décision”, son dernier roman, Catherine Gaillard-Sarron met en scène un drame professionnel, l’ambition brisée d’un cadre. Ce faisant, l’auteure confirme son talent du huis-clos. L’intrigue mûrit et monte au fil des pages. Extraits. Réd.
Pour lui, cette affaire, considérée comme le symbole universel de l’iniquité au nom de la raison d’État, met parfaitement en évidence le mécanisme du harcèlement moral, ce lent processus de destruction organisé, cette persécution infligée à une personne préalablement désignée comme bouc émissaire, livrée à la vindicte populaire, et contre laquelle tous se liguent, armée, politique, presse et opinion publique comprises, pour l’anéantir. Un lynchage public, collectif, qui transforme une victime en coupable, justifiant par cette ignoble manipulation la condamnation dont elle est devenue l’objet. Une manœuvre scandaleuse, expiatoire, qui cherche à laver l’honneur des véritables coupables dans le sang et la souffrance de la victime elle-même. Un sacrifice qui absout la communauté de sa faute et lui permet de détourner la violence sur un seul. Du blanchiment de réputation en quelque sorte. Car pour éviter de reconnaître leurs torts, les gens, comme les plus hautes instances, sont prêts à aller jusqu’au crime pour dissimuler leurs erreurs. Là encore, il ne s’agit pas d’humanité mais de collusion d’intérêts, d’égoïsme et d’orgueil démesuré.
Ce qu’il vit n’est pas très différent, songe Vincent en remuant doucement ses jambes dans l’eau claire. S’il est devenu le bouc émissaire de ses collègues, c’est simplement parce qu’il voulait rester cohérent avec lui-même et ne pas se soumettre à Canis. Une attitude qui les ramenait, eux, à leur propre incapacité de penser et d’agir librement et justifiait à leurs yeux l’hostilité et l’ostracisme dont il était l’objet. La cohérence, l’indépendance d’esprit et le désir de bien faire dérangent, se dit-il. Et pour s’en convaincre, il suffit d’observer la marche du monde. On s’aperçoit alors très vite qu’on écarte, pour ne pas dire élimine, les bons éléments, les honnêtes, les intègres et les probes du système. Que tout est fait pour les décourager et les démotiver. On les éjecte des endroits où ils veulent et pourraient apporter le bien et la justice, où ils pourraient changer les choses. Leur désir de transparence est insupportable, aveuglant. Ces êtres-là dérangent, bousculent, perturbent, troublent, contrecarrent ce que d’autres ont patiemment construit dans l’ombre. Leurs vertus sont source de moqueries. Pis, elles sont utilisées contre eux pour les manipuler et les détruire. Ils sont tellement impeccables que tous les détestent. On ne remercie pas ces gens-là, on les discrédite, on les humilie, on les harcèle, on les licencie et on les balance, tant ils mettent en lumière la noirceur de ceux qui les fustigent. On écrase ce qu’on ne peut atteindre. Et les gens ont tellement bien intégré les rapports de force et la notion de dominant dominé qu’ils se soumettent sans discuter au système. Ils ont également si bien intériorisé le fait que la société est un lieu dangereux réservé à la compétition et à la magouille qu’ils cautionnent ce même système en vous empêchant de faire aussi bien que vous le pourriez, de crainte de vous voir déstabiliser un système dans lequel ils ont leur place et qu’ils ne veulent par voir remis en question. Un système qui fonctionne très bien.
Vincent soupire et ferme les yeux. Une mouette passe au-dessus de lui. Son cri se perd dans le ciel.
© 2018 Catherine Gaillard-Sarron
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