Pourquoi l’autoédition.

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« Écrire c’est donner une forme à sa pensée, réaliser un livre c’est la matérialiser,

publier c’est lui donner une audience. »

 

Catherine Gaillard-Sarron Magazine Générations avril 2020

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Le Courrier_Anne Pitteloud_Autoédition_13.3.20

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Article JournalNordVaudois_26.4.19_Catherine Gaillard-Sarron

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Mon parcours et ma vision des choses

Sur trois questions de Bernard Antoine Rouffaer

Table ronde du 19.2.20 organisée par l’AVE

Catherine Gaillard-Sarron, Christine Grobety, Gérard Galéra, autoéditeur, Ivan Slatkine des éditions Slatkine/Isca et Bernard-Antoine Rouffaer, modérateur.

Qu’est-ce qui pousse un auteur à choisir l’auto-édition ?

La même chose qui le pousse vers l’édition : le désir d’être lu !

On écrit pour être lu, connu, reconnu et pour partager des émotions avec les lecteurs. Sans audience, pas d’existence possible pour un auteur. C’est pourquoi, après avoir écrit quelques centaines de poèmes et une centaine de nouvelles en tout genre, après avoir testé mon écriture et obtenu des prix et des distinctions dans les deux catégories, j’ai tout naturellement envisagé la publication qui est l’aboutissement logique du processus d’écriture pour un auteur.

Écrire c’est donner une forme à sa pensée, réaliser un livre c’est la matérialiser, publier c’est lui donner une audience et une reconnaissance.

La quête de l’éditeur !

J’ai vite compris que c’était quasi impossible pour la poésie et extrêmement difficile pour les nouvelles. Dans un premier temps, comme je n’y connaissais rien, je me suis tournée vers l’édition à compte d’auteur et j’ai publié trois livres qui m’ont coûté un maximum. Puis la chance m’a souri et deux recueils de nouvelles sont parus à compte d’éditeur en 2009 et 2010. La joie a été de courte durée. La course aux subsides de l’éditeur pour réaliser mon 3e livre et les délais extrêmement longs pour espérer le voir publié m’ont découragée. Au bout de quatre ans d’attente, les résultats n’ayant pas été à la hauteur de mes espérances les plus modestes, j’ai renoncé à chercher un éditeur et je me suis mise au travail.

Il ne faut pas donner du riz aux hommes, mais il faut leur apprendre à planter du riz.

J’ai donc appris à faire des livres !

Je m’autoédite depuis plusieurs années et, à ce jour, j’ai publié plus de vingt-cinq ouvrages en autoédition. J’ai même repris les droits de mes recueils de nouvelles publiés chez mon éditeur afin de les promouvoir moi-même.

Autoédition et compte d’auteur

L’autoédition n’est pas de l’édition à compte d’auteur. Dans ce dernier cas, l’auteur confie à un éditeur qui pratique le compte d’auteur le soin de réaliser son livre et il le paie pour cela, parfois très cher.

Dans le cas de l’autoédition, en particulier l’autoédition que je pratique, je réalise tout moi-même : relecture, corrections, mise en page, graphisme, photo, couverture du livre, demande du numéro ISBN, recherche d’un imprimeur, dépôt légal, catalogue, prospectus, site Internet.

Je fais exactement le travail de l’éditeur et assume également tous les risques de l’opération, de la création à la production jusqu’au vernissage et aux gâteaux faits maison. Je ne délègue rien et ne touche, évidemment, aucun subside.

Avantages de l’autoédition

Avec l’autoédition, outre le choix du prix de vente, un temps de production plus court et la conservation de tous mes droits, je contrôle toutes les étapes du processus de création de mes livres. Je suis libre de faire avancer les projets à mon rythme et mes gains sont plus intéressants. Cette liberté, cette souplesse et cette indépendance sont pour moi des avantages déterminants.

Par la suite, j’ai encore tenté quelques démarches pour trouver un nouvel éditeur, mais si dans le contexte actuel il est toujours plus difficile de se faire éditer, cela s’avère encore plus compliqué en Suisse romande où le lectorat francophone est restreint. Submergés par les manuscrits, les éditeurs privilégient leurs propres auteurs et ne publient quasi-pas de nouveaux. Slatkine dit retenir deux manuscrits sur 265, Zoé un sur 800 [1]…

Face à cette réalité, on est en droit de penser que leur choix, en plus d’être subjectif, ne peut être qu’arbitraire et déterminé par une ligne éditoriale stricte ou des subsides spécifiques.

Si ma motivation première reste de partager mes écrits avec un lectorat,

mon objectif est de diffuser mes ouvrages et de les vendre.

Découragée par les réponses négatives, les délais interminables et les frais occasionnés par la confection et l’envoi des manuscrits, j’ai vite renoncé à cette quête onéreuse, chronophage et aléatoire et j’ai préféré investir mon argent dans l’autoédition de mes propres livres. Car si ma motivation première reste de partager mes écrits avec un lectorat, mon objectif est naturellement de diffuser mes ouvrages et de les vendre, leur réalisation nécessitant un travail et un investissement conséquents.

Autoédition : totale indépendance ou choix d’une plateforme ?

Il existe de nombreuses plateformes sur Internet pour réaliser son livre, comme KDP d’Amazon, Publibook, Edilivre, Mon petit éditeur, TheBookEdition, Lulu.com, Librinova, Isca[2], etc., la liste n’est pas exhaustive. Une concurrence bienvenue à l’édition classique qui fait toujours la pluie et le beau temps et règne sans partage sur la création littéraire et les auteurs. Les choses changent. Les gens changent. L’édition aussi et l’édition numérique est une alternative moderne et indépendante qui permet l’émergence de nouveaux talents.

Pour autant, tout n’est pas aussi gratuit, rentable et intéressant qu’il n’y paraît au premier abord. Si vous n’êtes pas un spécialiste ou que vous rechignez à retrousser vos manches, vous devrez recourir à des services payants, ce qui augmentera notablement votre facture, et vous devrez également accepter des conditions éditoriales qui peuvent sembler contraignantes ainsi que le logo de la plateforme choisie sur votre couverture.

Mon choix

Pour ma part, après avoir étudié les diverses offres, j’ai finalement opté pour l’autoédition « Maison » et indépendante car je trouvais plus judicieux et avantageux d’acheter et de gérer moi-même mon stock de livres plutôt que de devoir les racheter à une plateforme quelconque pour pouvoir les revendre ensuite. De plus, je suis libre de choisir le format de mes ouvrages, la mise en page et le graphisme de mes différentes collections. De surcroît, mes droits d’auteur s’élèvent à présent à 100 % et non plus à 10 %.

En conséquence, sachant que les droits d’auteur de mes deux livres publiés à compte d’éditeur ne m’ont pas rapporté cinquante francs sur les cinq dernières années, je ne vois vraiment pas l’intérêt de céder tous mes droits à un Éditeur pour n’obtenir, en contrepartie, qu’un logo sur mon livre ou une référence dans un catalogue.

Combien cela coûte-t-il ?

Quand on aime on ne compte pas ! L’adage vaut pour toute passion, écriture et autoédition comprises. Pour promouvoir mon travail j’ai réalisé successivement quatre sites internet, le dernier ayant nécessité plus de 250 heures de travail ; temps que je ne mets évidemment pas au service de mon écriture proprement dite. Par ailleurs, pour le construire, j’ai également dû apprendre à utiliser les outils qui me permettaient de le créer.

Pour les livres, le travail est énorme puisque, hormis l’aide de mon mari en qualité de correcteur, j’accomplis seule toutes les étapes. Autant vous dire que même si mon travail me passionne ce n’est, et de loin, pas une sinécure. Mais c’est un choix voulu et assumé.

J’ai arrêté mon activité professionnelle en 2009 pour me consacrer entièrement à l’écriture et je ne l’ai pas regretté une minute, même si ce travail n’est pas reconnu autant que je le souhaiterais.

La quête de l’imprimeur

Découvrir le bon imprimeur m’a également demandé beaucoup d’énergie, tout comme la recherche d’informations concernant certains aspects techniques et administratifs relatifs à l’édition. Pour le coût de l’impression, les tarifs de l’imprimeur vont dépendre du choix du papier, d’illustrations éventuelles, de la qualité de la couverture et bien sûr du nombre de pages et d’exemplaires de l’ouvrage. Selon le livre, le prix peut varier de 4 à 8 CHF pour un exemplaire. Ces prix s’entendent sans l’achat du numéro ISBN, des frais de douane et du transport éventuel vers la Suisse (je travaille avec un imprimeur français). Et naturellement sans le travail effectué par l’auteur lui-même qui remet un PDF abouti de son travail à l’imprimeur. Les prix peuvent varier selon les imprimeurs. Ne pas hésiter à demander des devis.

Promotion et diffusion

Le grand problème de l’autoédition reste la promotion et la diffusion.

Outre la confiance que j’ai dans mon travail, mon meilleur outil pour promouvoir mes ouvrages est mon site Internet que j’alimente régulièrement avec mes nouveautés et des articles que je publie sur mon blog.

Côté publicité, je réalise des affiches pour annoncer mes vernissages et divers documents tels que catalogues, prospectus, signets, cartes de visite, invitations que j’envoie à mes contacts et propose lors de mes événements.

Côté médias, un chroniqueur fidèle rédige régulièrement des billets sur mes ouvrages. Mes histoires ont été lues à a Radio Télévision Suisse RTS et j’ai eu quelques articles dans des journaux ; une journaliste a même réalisé un reportage télévisuel sur mes écrits érotiques. Je suis présente sur la plateforme Librinova et plusieurs de mes livres sont téléchargeables en ebook.

Je vends également des livres lors de salons ou de lectures organisées par des associations et j’ai régulièrement des commandes de libraires. Mes livres sont disponibles dans cinq bibliothèques : Fribourg, Montreux, Maîche, ma ville natale, la BCUL et à la Bibliothèque nationale.

Tout cela fait avancer « ma petite entreprise », mais le canal principal de diffusion de mes livres reste les vernissages que j’organise avec soin.

Afin d’être crédible, je m’efforce de contrôler tous les aspects de la production car j’ai à cœur de proposer un livre de qualité à mes lecteurs ainsi que des rencontres cordiales dans un cadre chaleureux.

Si écrire c’est donner une forme à sa pensée et réaliser un livre c’est la matérialiser, la publication lui donne une légitimité et la diffusion permet qu’elle soit connue et reconnue.

L’autoédition, valorisée ou écartée par la critique, la librairie, le milieu culturel ?

L’autoédition est un choix difficile et courageux, souvent la seule option

qui reste à un auteur déterminé pour mener à terme son travail.

Pour autant, l’autoédition n’est pas une solution de facilité, au contraire, c’est un choix difficile et courageux, souvent la seule option qui reste à un auteur déterminé pour mener à terme son travail, car en plus des compétences, du temps, de l’énergie et de l’argent qu’il faut investir pour créer un livre, l’autoédition, à quelques exceptions près, est généralement ignorée voire méprisée par les Éditeurs, Médias, libraires, blogueurs et le milieu culturel en général.

Un EVNI (écrivain vaudois non identifié) dans le milieu littéraire romand

Mon expérience est mitigée. J’ai parfois le sentiment d’être un EVNI dans le milieu littéraire romand. Malgré une production importante, une visibilité dans plusieurs bibliothèques et des lectures régulières à la RTS, mon travail n’est pas valorisé ni reconnu. De nombreux médias n’acceptent pas de chroniquer les livres publiés en autoédition, de même que certains organisateurs de salons littéraires refusent les auteurs autoédités.

Librairies

Concernant les librairies, j’ai des commandes régulières. Mais j’ai renoncé à laisser mes livres en dépôt. Ils sont rarement mis en avant et restent peu de temps en rayons. Stockés dans l’arrière-boutique les tranches jaunissent et les livres sont alors invendables. De plus, certains libraires exigeant des commissions de 40 %, je préfère me passer de ces coûteux intermédiaires.

Associations et sites de littérature

Difficile voire impossible, également, d’être répertorié en tant qu’auteur autoédité sur certains sites de littérature, de faire passer des infos ou d’être invité à présenter ses nouvelles publications dans certaines associations si l’on n’est pas soutenu par un éditeur.

Les prix et les concours

Les auteurs autoédités sont exclus des concours littéraires qui comptent ou bénéficient d’une aura culturelle. Ils ne peuvent donc prétendre à des prix, bourses ou soutien quelconque.

Même s’il produit un bon travail, l’auteur indépendant est exclu du système et n’a donc aucune chance que ses écrits soient remarqués. On peut parler de mépris voire d’ostracisme envers les auteurs autoédités.

L’autoédition, un tremplin ?

Je lis de plus en plus que l’autoédition est un tremplin qui peut permettre d’être repéré par une maison d’édition. Que les ventes qu’un auteur a déjà réalisées en autoédition sont un atout pour un éditeur car cela prouve qu’il est parvenu à séduire des lecteurs et qu’il a des compétences en communication.

C’est peut-être le cas en France mais pas en Suisse où certains éditeurs vous répondent que la philosophie de leur maison rend délicate la collaboration avec tout auteur ayant recours à la pratique de l’autoédition. Ou que Les manuscrits déjà mis en page, ou pré-imprimés en édition numérique, ne plaident pas en faveur des auteurs autoédités.

N’arpente pas le trottoir de l’édition qui veut

Je pensais justement qu’il était moins risqué et plus intéressant pour un éditeur de publier un auteur qui avait déjà fait ses preuves plutôt qu’un autre totalement inconnu.

Apparemment, n’arpente pas le trottoir de l’édition qui veut. C’est une chasse bien gardée que les éditeurs ne semblent pas vouloir partager. Pour être accepté par le « milieu » littéraire, un auteur doit être « soutenu » par un Éditeur reconnu. Difficile, donc, pour un auteur autoédité, d’exister en dehors de cette règle.

Cela dit, et c’est encore plus vrai aujourd’hui, être publié chez un éditeur « reconnu » ne garantit ni le talent de l’écrivain ni la qualité du livre, encore moins ses ventes. Dans ce domaine comme dans tant d’autres, on ne prête qu’aux riches et il y a deux poids deux mesures. Ainsi en est-il de certains auteurs autoédités qui cartonnent sur des plateformes diverses et sont alors récupérés par les éditeurs qui les publient sous leur bannière.

Aujourd’hui les éditeurs ne cherchent plus à mettre en avant un auteur,

mais ils cherchent un auteur pour mettre en avant leur maison !

Démocratiser l’accès à l’édition

À l’heure actuelle, les auteurs autoédités ne sont plus considérés comme des auteurs de seconde zone mais comme des auteurs déterminés et conscients de leur potentiel. De nouvelles structures apparaissent sur le Net pour répondre à cette demande toujours plus pressante. En particulier, Librinova, qui se veut un trait d’union entre les auteurs autoédités et les éditeurs traditionnels. Une plateforme dédiée aux auteurs autoédités et dont les objectifs sont de démocratiser l’accès à la publication, de faire émerger les talents de demain et de créer une passerelle entre autoédition et édition traditionnelle.

Numériser son livre pour 50 euros

Sur le site de Librinova, pour 50 euros, vous pouvez numériser votre livre qui sera présent durant un an sur plus de 200 librairies en ligne, en France et à l’étranger. Un formidable outil de promotion pour tous les auteurs autoédités dédaignés par les éditeurs traditionnels.

Les choses bougent mais…

Oui, les choses bougent et changent. Mais ce ne sera pas forcément à l’avantage des écrivains les plus talentueux. Aujourd’hui les éditeurs sont à l’affût d’un auteur qui fait le buzz sur le Net. De fait, ils n’ont même plus besoin de lire les manuscrits pour découvrir de nouveaux talents. Ils ont juste à écrémer le dessus du panier de l’autoédition. Et ce sont les auteurs qui savent le mieux utiliser les réseaux sociaux qui réussissent. Mais sont-ils les meilleurs ?

« Être bon dans les médias n’est pas le signe qu’on est un bon écrivain ».

Jean d’Ormesson 

Il faut remettre l’auteur au centre car c’est lui le créateur.

Il faut garder à l’esprit que toute l’édition repose sur le travail de l’auteur. Pas d’auteur, pas de livres ni d’éditeur ou de maison d’édition. Or, en l’état actuel des choses, c’est l’acteur le moins rémunéré de la chaîne littéraire.

Prisonnier et esclave du système, il fait tourner la grande roue de l’édition avec pour seule contrepartie, le plus souvent, le logo d’une Maison sur son livre.

L’auteur est le créateur. Il ne faut pas l’oublier. C’est donc lui qu’il faut remettre au centre. Lui qu’il faut aider et encourager. Et le débat littéraire édition/autoédition n’aura plus lieu d’être.

Idée : appels d’offres littéraires aux éditeurs

Pour bénéficier de la diversité et du talent de tous les auteurs, on pourrait imaginer des concours réguliers ouverts à tous. Plusieurs jurys spécialement formés pour cette mission jugeraient les œuvres des lauréats et distingueraient les auteurs méritants.

Ensuite une sorte d’appel d’offres pourrait être lancée aux éditeurs qui, selon leur ligne éditoriale, publieraient l’un ou l’autre des auteurs primés. Cette procédure garantirait la publication d’œuvres de qualité pour les éditeurs et validerait le talent des auteurs qui accéderaient à une reconnaissance de leur travail sans être des pros de la communication moderne. Un système qui donnerait les mêmes chances à tous les auteurs, connus ou méconnus, édités ou autoédités et permettrait de faire émerger davantage de nouveaux talents.

La passion de l’écriture me tient debout :

c’est elle qui me fait me lever le matin… et m’empêche de me coucher le soir !

Je crois à mon travail et malgré tous les aléas et le peu de soutien que j’ai rencontrés dans cette aventure, je suis heureuse de constater que mes romans, mes nouvelles et mes poèmes, même publiés en autoédition, trouvent grâce aux oreilles de la RTS, de Couleurs locales, du magazine Générations, de la BSR, de Daniel Fattore et de nombreux amis. C’est pourquoi, je ne peux qu’encourager les auteurs suffisamment déterminés dans leurs projets à aller au bout de leurs rêves.

L’alternative à l’édition existe : c’est l’autoédition, c’est une voie ingrate

et risquée mais elle est possible avec de la volonté, de l’enthousiasme,

de la persévérance et beaucoup de travail…

Les nouvelles technologies – blog, Youtube, Facebook, Linkedin, Google Livres, Youscribe… -, révolutionnent les moyens d’expression artistique et littéraire. L’autoédition papier ne constitue-elle pas une tentative de s’accrocher à des pratiques d’expression littéraire datées ?

Tout autant que l’édition traditionnelle. Il est évident que dans un monde toujours plus numérique et écologique, il faudra remettre en question la réalisation et la destruction de millions de livres papier voués au pilon. Il faut savoir que l’industrie du livre est la seule au monde à détruire entre 50 et 80 % de sa production. C’est un système économique destructeur et pollueur.

L’industrie du livre est la seule au monde à détruire entre 50 et 80 % de sa production…

Industrie du livre et pilonnage

Pour la plupart des Maisons d’édition il est plus rentable de pilonner les livres que de les stocker. Il serait donc utile de se demander si la distribution systématique de subsides aux éditeurs est une bonne idée, ces derniers justifiant ce soutien par une production pléthorique. Il serait plus judicieux de produire moins et d’investir davantage dans la promotion des livres subsidiés et le suivi des auteurs. Personnellement, je ne reçois aucun subside. Je fais des tirages de 200 ex. maximum et je n’ai pas besoin de pilonner mes livres.

Dématérialisation des livres

Pour autant, la dématérialisation n’est pas la panacée. Numériser les livres pour les diffuser sur le Net ou autres supports numériques à un coût énergétique important et un impact sur l’environnement. Entre autres parce que les fichiers transitent par des centres extrêmement gourmands en énergie et que les supports sont fabriqués avec des métaux rares et polluants.

« La pulsion de visibilité est si forte que chacun contribue

à son propre asservissement » Pascal Bruckner.

Vendre ! Une guerre de l’attention

Finalement, quelle que soit la technologie envisagée pour diffuser un livre, le vrai défi reste de le vendre. Et vendre est avant tout une guerre de l’attention. Une attention qu’il faut capturer à tout prix et par tous les moyens !

Alors oui ! savoir utiliser les outils modernes et les réseaux sociaux est évidemment un avantage précieux pour les auteurs qui veulent se faire connaître et reconnaître sur le web où tout se joue aujourd’hui. Ce sont des accélérateurs de visibilité qui deviendront incontournables même si cet exercice s’avère excessivement chronophage et pas forcément rentable.

Et face aux frais d’envoi toujours plus élevés qui s’élèvent parfois à plus de deux fois le prix d’impression du livre, on voit mal comment les éditeurs et les indépendants pourraient lutter contre Amazon.

Le tout numérique

Cela dit, si l’on va vers le tout numérique, que ce soit pour l’édition ou l’autoédition, il faut se demander sérieusement ce que deviendront nos fichiers et nos données une fois publiés sur le Net à l’aide de ces nouvelles technologies. Sachant qu’il faut être visible sur le Web pour exister et vendre, mais qu’une minorité d’internautes achète leurs Ebooks comment protégerons-nous le droit des auteurs ? Et qui les rétribuera si leurs œuvres sont pillées ?

Ubiquité numérique

Un livre numérique peut facilement être téléchargé illégalement. Il existe des milliers de sites qui les proposent gratuitement aux internautes. J’en fais l’expérience tous les jours.

Un seul fichier numérique pour des millions de téléchargements. C’est une révolution qui va contre l’évolution. Une régression qui tue l’édition et appauvrit la culture.

Création ? Propriété intellectuelle ?

Que deviendra la création si les créateurs ne peuvent plus vivre de leurs œuvres ? Qu’en sera-t-il de la propriété intellectuelle ? L’abolira-t-on ? Et à qui appartiendront les données numériques quand tout sera sur le Net.

Conservation de la mémoire de l’humanité

Les données numériques pouvant s’effacer ou n’être plus lisibles dans l’avenir, comment conserverons-nous la mémoire des choses et de l’humanité si les livres et les supports papier disparaissent totalement ?

Dictature numérique

Comment pouvons-nous être sûrs que les machines à apprendre truffées d’algorithmes qui se nourrissent actuellement de nos milliards de données ne deviendront pas demain de super robots qui penseront et écriront des livres à notre place et nous rendront inutiles dans quelques décennies, ou pis nous enfermeront dans une dictature numérique dont on voit déjà les prémices en Chine ?

Amazon a déjà le pouvoir d’effacer des livres à distance en utilisant une porte dérobée (back-door). En 2009, Amazon a fait usage de cette porte dérobée pour effacer des milliers d’exemplaires du 1984 de George Orwell.

Conclusion

Le propre de l’écrivain est de transmettre des émotions, des sensations, des impressions, un état d’être. Même si à l’avenir l’intelligence artificielle devient capable de composer de la poésie ou des romans, elle ne sera jamais un être de chair et de sang et ne pourra donc jamais traduire ce qu’un être humain peut éprouver. Un robot ne comprend pas ce qu’il écrit. Il ne ressent rien. Et s’il n’est pas doué d’empathie, comment pourra-t-il écrire des histoires ou des vers qui toucheront le cœur et l’âme de ceux qui les liront ?

“On peut empêcher l’invasion d’une armée

mais pas une idée dont le moment est venu.” Victor Hugo

Alors à nous d’être vigilants afin de ne pas perdre notre liberté d’être, de faire, d’écrire et de penser en l’abandonnant à l’intelligence artificielle ou aux GAFAM[3].

 

[1] Voir article Le Temps du 17.6.13 – Jadd Hilal.

[2] ISCA La première plateforme d’autoédition en Suisse romande dès le 24.2.20.

[3] Complexe numérico-industriel : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft.

Pour info sur le sujet, chronique de Jean- Yves Normant Bookelis.com

Lien vers le Magazine Générations d’avril 2020