Un autre regard.

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Dévoiler les mystères du monde ordinaire

par Pierre Yves Lador

P.Y. Lador 11.10.2008

Pierre Yve Lador 21.11.2013

           Catherine G-S 11.10.08

Un portrait?

Vous la connaissez tous mieux que moi, vous qui êtes ici pour l’entourer dans le passage de ce cap, ce cabaret, ce cap barré du midi de la vie, car la vie est un long jour, une longue navigation qui n’est pas toujours tranquille. Plutôt une chronique inactuelle. Et des questions car il n’y a guère de réponses.

Qu’est-ce qui nous a rapprochés Catherine et moi ? Écrivons-nous tous pour réparer, restaurer des blessures reçues voire infligées, une histoire, le monde ? Et sans doute dans mon cas s’agit-il de retrouver la plume originelle, qui fut bosselée, nivelée, canalisée martelée dans la forge de mon père, par le marteau de l’amour sur l’enclume de la loi et de retrouver l’encre de mon sang emprisonnée dans mon cœur d’acier mille fois trempé. Mais dans le ventre du monstre coule toujours la lave vive, source du rêve d’être, de liberté, d’ailleurs, d’intériorité partagée. La rage de créer, de communiquer, de rencontrer d’explorer ici où je suis, pas besoin d’aller dans une autre galaxie, si la vérité est ailleurs comme nous le disaient Mulder et Scully, pour moi l’ailleurs est ici, maintenant. Aux Rasses dont ma lignée est originaire puisqu’il y a deux cents mille ans mes ancêtres contemplaient le plateau Suisse recouvert de glace de ce balcon de Bullet et dans mon jardin il y a toujours un bloc erratique, témoin muet de cette époque. Je vous révèle mon secret si par mon père je suis un Helvète, par une ancêtre de ma mère je suis un extraterrestre et vous l’avez deviné, Catherine aussi mais des extraterrestres de galaxies différentes, condamnés à vivre dans des corps de terriens. Mon rêve qui s’incarna d’abord dans la lecture de milliers de romans de science-fiction, d’aventures fantastiques. Retrouver mes origines ? Maison, E.T., la souffrance d’un exil éternel.

De son côté Catherine lit aussi de la science-fiction et du fantastique et je la soupçonne fortement de rechercher aussi des extraterrestres sur cette planète.

Je crois qu’elle est télépathe, je ne suis pas sûr qu’elle ne me dicte pas mon texte. Elle jouit d’une curiosité insatiable et de la faculté de penser diagonalement, de rapprocher ce qui ne va pas ensemble en apparence, de voir et finalement de décrypter, d’interpréter la réalité, de la démonter, d’en chercher les secrets, de trouver ou tracer des fils qui dessinent un autre monde qui est pourtant celui-ci.

Catherine est remuante incontestablement et pourtant elle évoque l’harmonie, la quête de l’équilibre, car l’un comme l’autre ne sont que les fruits d’une recherche constante. L’harmonie et l’équilibre contrairement à ce que beaucoup peuvent penser requièrent le mouvement, si tout bouge et tout bouge, Héraclite l’avait senti avant les boursicoteurs de tout poil, l’équilibre ne peut être que mouvant. Certes il y a des gens qui se laissent dériver sur la mer.

Catherine n’est pas de ceux-là, elle rame, elle nage, je la soupçonne même parfois de marcher sur les eaux, elle communique, elle parle, elle écrit, elle compose des poèmes, elle peint et je mentionne pour mémoire qu’elle cuisine merveilleusement, qu’elle a fait et élevé trois enfants, mais ce qui noue la gerbe, c’est le désir fou d’organiser le monde autour d’elle, de l’embellir, de créer des rencontres, des occasions de coopter, de mettre en lien des personnes, de susciter des fêtes, un peu de cela, beaucoup le font, mais avec une intensité, une constance, une persévérance telles, j’en connais peu.

Après quoi court-elle ? Qui l’a investie de cette folle mission ? Quel conseil suprême de quelle galaxie ?

Parfois elle doit donner le tournis, parfois elle est mécomprise, comment ne pas l’être quand on dérange et comment comprendre que ses bonnes intentions, sa générosité son entregent sa ténacité puissent déranger ?

Mais c’est simple, une seule herbe qui sort de terre dérange déjà, l’hirondelle dérange les mouches chaque vie dérange c’est la merveille du monde, la vie dérange la vie, l’harmonie elle-même dérange et pas besoin d’évoquer le loup, le brochet ni le faucon, le méchant, le voleur, ni l’assassin, ni même le flemmard dont les ronflements incommodent ses voisins. Le bien dérange autant que le mal, Jésus que le Diable.

Non, Catherine dérange parce qu’elle veut éveiller les gens, améliorer les choses.

C’est vraiment admirable et suprêmement énervant. Et bien sûr elle s’en rend compte, elle est si sensible, elle a le cœur gros et sur la main et on le griffe même sans s’en rendre compte, car les honnêtes gens sont méchants, ils n’aiment pas qu’on les dérange, ils n’aiment pas qu’on leur montre leur portrait.

Elle est comme le petit bricoleur qui veut comprendre le monde, le démonter, l’expliquer, d’ailleurs pour une fille, ça y est je l’ai osé, pour une fille, c’est une phrase fondée sur la statistique, pas sur le machisme, elle s’intéresse aux sciences et même aux sciences non orthodoxes, une science ne devrait jamais être orthodoxe, c’est comme les religions, il n’y a pas de dogme, tout bouge, tout change, la réalité et ses interprétations. Raison de plus pour rester tranquille au cœur de cyclone, pensez-vous. Ignorez-vous que le grand cyclone de l’univers est le seul à n’avoir pas de cœur ?

Que ne peut-elle rester tranquille, lire et regarder la télé, ce qu’elle fait d’ailleurs ? Pourquoi vouloir ainsi s’agiter ? Heureusement qu’elle est belle et sympathique et qu’elle écoute les autres, mais même cela peut lui être reproché, elle a souffert, elle a aidé ceux qui souffraient à ses côtés, sa famille, ses amis, mais c’est insupportable, vertueuse et avec le sens de l’humour !

Je ne vous fais pas le portrait d’une sainte, mais en tout cas d’une femme qui est sur la voie de la sainteté.

Elle a même la naïveté de croire que tout le monde est comme elle et parfois est déçue des hommes, mais croyez-vous que cela pourrait l’arrêter, non, elle s’interroge, change de crayon, ou de pinceau et repart au combat, car c’est le combat de l’harmonie qui ne s’arrête jamais. Vous êtes-vous arrêtés sur sa terrasse, dans sa maison ou sur la colline de Chamblon, est-ce le décor qui a changé ou a-t-elle choisi un décor d’harmonie ? Ce n’est pas le jardin d’Eden, car l’on est dans le monde d’après la chute, mais l’harmonie du paradis retrouvé, elle la restaure chaque jour, c’est la femme la plus humaine que j’ai rencontré si c’est ça l’humanisme : essayer de restaurer de réparer l’harmonie perdue autour de soi. Ce qui n’empêche pas la séduction, ni le sourire dévastateur, ni l’époux Claude qui participe quotidiennement, avec générosité, à cette entreprise de restauration et de création d’harmonie.

Catherine est un signe parmi nous, pour citer Ramuz, un cygne chez les canards pour parodier Andersen. Quand va-t-elle s’envoler vers sa galaxie ?

Et je vais ajouter les mots d’une préface écrite pour des récits de Catherine.

Catherine Gaillard-Sarron est un écrivain de la semaine, non pas seulement parce qu’elle écrit tous les jours mais parce qu’elle crée des personnages comme Dieu, de ceux qu’on rencontre dans les rues d’Yverdon-les Bains, de Dôle ou de Paris. Leurs habits ressemblent à ses adjectifs, ils aiment jouer avec, que ce soit des yos, de petites bourgeoises, des porteurs de blues jeans amoureux. Cela peut irriter l’écologiste que cette profusion de vêtements souvent neufs, qui se croient originaux et caractéristiques et que tout le monde porte, même les vedettes qui ne s’habillent pas en prêt-à-porter et qui se ressemblent pourtant.

Mais, vous le voyez venir ce gros mais, comme sous chaque habit se trouve un destin particulier, l’art de Catherine consiste avec toute son intuition, pas seulement féminine, mais aussi visionnaire peut-être, son flair, ses sens, et elle en a plus que la plupart d’entre nous, ou au moins elle les exerce, à nous découvrir ce qui est caché sous les apparences, ce qui agit derrière, ce qui fait partie du monde et qui indique qu’il y a un autre monde, un monde sous le monde ou au-dessus ou derrière, outre en là, dans cet ailleurs qui est ici.

Bien sûr ses héros, comme nous, vont vers la mort suivant un itinéraire qui est toujours d’une certaine façon banal, ne dit-on pas tous les chemins mènent à Rome (Rome qui lu à l’envers donne mort ! superbe palindrome) ? Mais Catherine met en évidence quelque chose, ce peut être un petit rien, avoir l’air d’un simple accident, comme le célèbre battement d’aile du papillon à Macao qui va par une succession d’évènements entraîner un tremblement de terre à Lisbonne.

Et sa plume va nous révéler ce mystère, nous accompagner dans sa découverte et dans cette espèce d’implacabilité d’un destin qui pourtant n’est pas déterminé.

En effet le monde de Catherine, le nôtre en somme, laisse la possibilité de la rédemption, de la résilience, de l’espoir, de la fin heureuse, de comprendre ce destin. C’est un dévoilement non pas tant des évènements qui sont certes toujours originaux comme la vie, des faits divers en somme, qui se laissent ramener, comme chez tous les conteurs, à un certain nombre de types prévisibles, mais un dévoilement du flux de la vie, faudrait-il dire de l’âme, de ce qui est sous-jacent, de ce qui peut être la Grâce, parfois démoniaque, parfois angélique ou fantastique. L’univers de Catherine, le nôtre, car, et c’est sa force, elle nous fait adhérer à sa vision du monde, est un monde hanté ou plutôt habité par une présence vivifiante, vitale, animée. Tout son art est de rendre présent ce que l’on espère ou subodore ou nie parfois dans un mouvement de désespoir. Elle nous donne envie de croire tout en pratiquant un art réaliste. La réalité existe-elle ? Elle semble en tout cas, en lisant ces nouvelles banales en apparence, plus riches que ce que nous croyions savoir.

Une écriture fluide, naturelle et si ça ne veut rien dire, alors comme une rivière qui coule, avec de légers méandres et tout à coup une cascade, une chute, un remous et puis reprend son cours ordinaire.

c’est le combat de l’harmonie qui ne s’arrête jamais.

Il faudrait encore insister sur l’angle de vue insolite qui entraîne le rire. Catherine nous fait sourire ou rire même quand ça finit mal. D’ailleurs quand les héros se marient, sont heureux et ont beaucoup d’enfants, ils finissent quand même, un jour, par mourir. Mais c’est l’amour rayonnant, ruisselant même de Catherine qui éclaire, irrigue, nourrit, inonde sa prose, ses personnages et ses lecteurs, elle aime les gens, les choses, le monde et les mots. Elle se donne et nous donne ses  textes comme des pommes rouges de culture biologique qui ont certes des taches, des défauts, voire sont minés par des carpocapses, mais sont authentiques et nous les dévorons avec plaisir car qui résisterait à la sincérité, à l’amour et à l’humour ?

Ces fruits nous font du bien, peut-être même nous guérissent-ils ?

A chaque fois je suis pris par ces destins, par ces engrenages. Catherine est du pays des horlogers, maîtres du temps, des complications et de l’irrésistible simplicité qui me font frissonner ou rire ou les deux, entraîné insidieusement, on voit où on nous mène, mais on ne peut pas résister, on est pris au piège, et on en redemande. Elle a vécu, elle transmet une riche expérience de la vie, une compréhension subtile de l’être, elle aborde tous les thèmes, amour, mort, homosexualité, plaisir, jalousie, envie, vengeance, souvenir, mémoire inconsciente, odorat, vue, existence de Dieu, fantômes, nature et nous rend familier l’insolite et fantastique l’ordinaire.

Le fantastique au détour du quotidien est parfois insidieux, progressif, inidentifiable, déguisé ou repéré mais insaisissable. Rédemption, ou vengeance, les forces de l’univers, celles que chacun postule, qu’il soit croyant ou non, nous sommes tous croyants, même si incrédules et ce doute les héros le partagent et nous partageons avec eux ce glissement qui nous entraîne là où nous savons que nous allons même si nous tentons parfois de freiner.

Écriture de la séduction, ajouterais-je fatale ? Parfois.

Cet écrivain de la semaine, voyante, devient une incarnation d’Isis la déesse égyptienne qui enlève les écailles qui nous empêchaient de voir. On le savait et on l’ignorait, elle n’est pas platonicienne, mais la réminiscence, le dévoilement, le trésor caché, tout l’arsenal ésotérique et romanesque est présent, suggéré, sous-jacent

C’est cela la singularité de ses récits, dévoiler en décrivant minutieusement les voiles pour nous faire voir ce qu’il y a derrière et nous donner la possibilité de n’être pas comme l’idiot à qui le maître zen montrait de son doigt la lune et qui regardait… le bout du doigt !

On n’oubliera plus, ses personnages, ses ambiances, ils étaient peut-être déjà en nous, ils nous hanteront jusqu’à la fin de nos jours… et peut-être au-delà.

Alors voila pourquoi j’aime Catherine la vibrante et je suis fier de fréquenter une sainte en formation…

 

Pierre Yves Lador le 11 octobre 2008, pour les 50 ans de Catherine