L’autoédition d’aujourd’hui est peut-être l’édition de demain!
Catherine Gaillard-Sarron
Dédicace Librairie Padi à Orbe le 25 février 2023
Propos recueillis par Francis Antoine Niquille pour L’écritoire n° 2 6/22
Rubrique Indiscrétions
L’écritoire n° 2
INDISCRETIONS
Le choix de l’autoédition
Propos recueillis par FRANCIS ANTOINE NIQUILLE et publiés dans le n° deux de la revue l’Écritoire parue au printemps 2022, p. 30 à 37.
Elles et ils sont de plus en plus à créer leur propre structure éditoriale (Joël Dicker l’a fait). L’écritoire donne la parole aujourd’hui à une autrice vaudoise qui a choisi de se passer d’un éditeur ou d’un diffuseur distributeur pour ses ouvrages. Avec franchise, elle nous décrit sa passion.
Quelle fut ta motivation à créer ta propre structure éditoriale sans passer par une maison d’édition traditionnelle ?
Je suis d’abord « passée » par une maison d’édition traditionnelle. En effet, j’ai publié deux recueils de nouvelles dans une maison d’édition romande en 2009 et 2010 respectivement intitulés Un fauteuil pour trois et Des taureaux et des femmes. Et j’étais très fière d’y être parvenue car c’est un défi et un objectif pour un auteur que de voir publier son travail à compte d’éditeur.
Malheureusement, la suite a été moins heureuse. La course aux subsides de l’éditeur pour réaliser mon 3e livre et les délais extrêmement longs pour espérer le voir publier m’ont découragée. Au bout de quatre ans d’attente et de promesses non tenues, j’ai compris que les choses n’avanceraient que lentement, voire plus du tout. Si je voulais que mes manuscrits voient le jour de mon vivant, je devais les publier moi-même.
Par ailleurs, la modicité des droits d’auteur perçus, le manque de suivi des auteurs, l’absence de promotion des ouvrages ont également pesé dans ma décision de m’affranchir du système. J’ai donc renoncé à chercher un éditeur et je me suis mise au travail en devenant autoéditrice.
À ce jour, j’ai publié une trentaine d’ouvrages que je réalise de A à Z, hormis l’impression que je confie à un imprimeur.
Est-ce peut-être le fait d’avoir eu des manuscrits refusés qui t’a incitée à devenir le propre éditeur de tes livres ?
Comme dit précédemment, j’ai été publiée par deux fois dans une maison d’édition traditionnelle. Il est vrai, cependant, que même si je m’autoédite, j’ai parfois retenté ma chance auprès de quelques éditeurs avec certains ouvrages qui me tenaient à cœur, mon premier roman Allons voir si la rose par exemple. Mais sans succès. Naturellement, les refus systématiques, en dépit d’avis circonstanciés favorables, m’ont confortée dans ma décision de m’autoéditer. Et ce d’autant plus lorsqu’un éditeur vous répond poliment « que la philosophie de la maison rend délicate la collaboration avec tout auteur ayant recours à la pratique de l’autoédition. »
Je pensais naïvement qu’il était moins risqué et plus intéressant pour un éditeur de publier un auteur qui avait déjà fait ses preuves plutôt qu’un autre totalement inconnu. Apparemment, n’arpente pas le trottoir de l’édition qui veut. C’est une chasse bien gardée que les éditeurs ne semblent pas vouloir partager. Pour être accepté par le « milieu » littéraire, un auteur doit être « soutenu » par un Éditeur reconnu. Difficile, donc, pour un auteur autoédité, d’exister en dehors de cette règle.
Ainsi, les refus successifs, les délais de réponses interminables, les frais occasionnés par la confection et l’envoi de manuscrits, la modicité des droits d’auteur lorsque vous êtes publié à compte d’éditeur, l’absence de promotion des ouvrages et l’ostracisme de certains éditeurs envers l’autoédition ont été autant de motifs qui m’ont poussée à devenir ma propre éditrice. J’ai mis fin à une quête onéreuse, chronophage et aléatoire qui me faisait perdre un temps précieux que j’ai investi dans l’autoédition de mes propres livres.
Cette liberté, cette souplesse et cette indépendance sont pour moi des avantages déterminants.
Pourquoi avoir choisi cette formule qui demande tout de même à être au four et au moulin ?
Force est de constater que s’il est toujours plus difficile de se faire éditer, cela s’avère encore plus compliqué en Suisse romande où le lectorat francophone est restreint. Submergés par les manuscrits, les éditeurs privilégient leurs propres auteurs et ne publient quasi-pas de nouveaux écrivains. Slatkine dit retenir deux manuscrits sur 265, Zoé un sur 800 ! Alors les Maisons plus modestes…
J’ai donc choisi cette formule exigeante qui nécessite beaucoup de travail, d’énergie, d’argent et de nombreuses compétences parce que c’est la seule alternative qui me permet de publier mes livres et de partager mes écrits avec mes lecteurs. En effet, si écrire c’est donner une forme à sa pensée et réaliser un livre c’est la matérialiser, la publication lui donne une légitimité et la diffusion permet qu’elle soit connue et reconnue. Sans audience, pas d’existence possible pour un auteur. L’autoédition n’est pas une solution de facilité mais c’est la seule option qui reste à un auteur déterminé pour mener à terme son travail.
Quel est le point fort d’un tel choix ?
Avec l’autoédition, outre le choix du prix de vente, un temps de production plus court et la conservation de tous mes droits, je contrôle toutes les étapes du processus de création de mes livres. Je suis libre de faire avancer les projets à mon rythme, je gère moi-même mon stock de livres et mes gains sont plus intéressants. Cette liberté, cette souplesse et cette indépendance sont pour moi des avantages déterminants.
Quels sont les écueils à éviter pour ne pas se décourager ?
Il faut bien se documenter sur les tenants et les aboutissants de l’autoédition car c’est un vrai travail de pro qu’il faut accomplir. La tâche est multiple et nécessite de l’organisation, de la discipline, des connaissances et des compétences spécifiques : relecture, correction du manuscrit, mise en page, graphisme, réalisation de la couverture du livre, rédaction de la 4e de couverture, demande du numéro ISBN, recherche d’un imprimeur, dépôt légal, catalogue, prospectus, création et gestion d’un site Internet, éventuellement réalisation et gestion d’une boutique, plateforme de paiement, diffusion, livraison, etc. Bref, vous devez effectuer le même travail qu’un éditeur et pareillement à lui, assumer tous les risques de l’opération, de la création à la production jusqu’au vernissage et à la diffusion. Vous pouvez cependant, tout comme lui, déléguer moyennant finance, une part du travail à des tiers ou à des plateformes spécialisées. Personnellement, je ne délègue rien et accomplis toutes les tâches moi-même. Il est également important de déterminer votre public cible et ne pas être trop ambitieux au début en commandant, par exemple, plus de livres que vous ne pouvez en écouler.
Cela dit, le livre terminé et publié, contrairement à l’éditeur suisse, vous ne toucherez aucun subside, vous n’aurez pas la reconnaissance de vos pairs, ne bénéficierez que rarement du soutien des médias, des journalistes et du milieu culturel en général. En tant qu’auteur autoédité vous ne serez pas répertorié sur certains sites de littérature, ne serez pas publié dans certaines revues, ne serez pas invité à présenter vos nouvelles publications ou à faire des lectures dans certaines associations, bibliothèques ou librairies. Par ailleurs, de nombreux organisateurs de salons littéraires refusent les auteurs autoédités et si vous êtes affilié à l’AVE (Association Vaudoise des Ecrivains) vous ne serez pas autorisé à présenter vos ouvrages dans les écoles. En outre, vous ne pourrez pas participer aux concours littéraires qui comptent ou bénéficient d’une aura culturelle. Vous ne pourrez donc pas prétendre à des prix, bourses ou soutien quelconque. En conclusion, même si vous produisez un excellent travail, vous serez exclu du système et n’aurez aucune chance de voir vos écrits remarqués, encouragés ou primés par le milieu culturel qui méprise l’autoédition.
C’est pourquoi, en plus de disposer de temps, d’énergie et d’un certain budget, il faut vous armer de courage et avoir une foi inébranlable en votre projet. La motivation et une détermination à toute épreuve seront vos meilleurs alliés car, il est impératif de le savoir dès le départ, vous serez seul tout au long du chemin.
Pour ma part, j’ai parfois le sentiment d’être un EVNI (écrivain vaudois non identifié) dans le milieu littéraire romand. Malgré une production importante, une visibilité dans plusieurs bibliothèques et des lectures régulières à la RTS, mon travail n’est pas reconnu. Pour autant, même si l’autoédition est une voie ingrate et risquée, elle est possible avec de la volonté, de l’enthousiasme, de la persévérance et beaucoup de travail.
Il faut bien se documenter sur les tenants et les aboutissants de l’autoédition car c’est un vrai travail de pro qu’il faut accomplir.
faut bien se documenter sur les tenants et les aboutissants de l’autoédition car c’est un vrai travail de pro qu’il faut accomplir
Est-ce que la pandémie a perturbé tes activités ?
Même si j’ai continué d’écrire et de publier mes ouvrages en 2020 et 2021, la pandémie a rendu difficile l’organisation de mes derniers vernissages et cela s’est répercuté sur mes ventes. Par ailleurs, l’absence de manifestations littéraires et les annulations répétées d’événements prévus de longue date ont sapé un peu ma motivation et ont éclairci mon réseau. Si la solitude est nécessaire à l’écriture, la rencontre et le partage avec le lectorat le sont tout autant. La pandémie a perturbé ce processus et je me réjouis de pouvoir renouer avec le public aux Estivales de Montreux en juin et d’y présenter mon travail.
Peux-tu vivre de cette activité où est-ce un hobby ?
Je ne peux pas vivre de mon activité même si pour moi cela représente plus qu’un hobby. Ce que je peux dire, c’est que la passion de l’écriture me tient debout puisque c’est elle qui me fait me lever le matin et m’empêche de me coucher le soir.
Quels sont tes projets d’avenir ?
Je suis dans la finalisation d’un roman-essai intitulé Révélation qui me tient à cœur et dont le sujet retrace l’histoire de la condition féminine. Une histoire racontée par deux hommes contemporains aux sensibilités différentes mais qui finalement tombent amoureux l’un de l’autre. J’ai également deux recueils de nouvelles contemporaines et fantastiques en cours ainsi que deux recueils de poèmes.
Reçois-tu parfois des tapuscrits ?
On me l’a proposé mais j’ai refusé car je n’ai pas assez de temps disponible pour faire ce travail. La priorité est de publier mes écrits.
As-tu une ligne éditoriale particulière ?
Non, ma curiosité me pousse à diversifier les genres : poésie, nouvelle, roman, conte ! Et les registres : réaliste, satirique, fantastique, dramatique, noir, philosophique, humoristique, érotique ! Une trousse littéraire bien garnie qui me permet d’ajuster précisément le fond à la forme et de révéler, au-delà des faits et des clichés, les multiples facettes de l’être humain. Une diversité nécessaire et vitale qui me permet d’écrire à ma guise et de ne pas me sentir enfermée dans la représentation que d’autres ont pour moi, ce qui, à mon sens, bride le processus créatif.
Combien as-tu écoulé d’exemplaires de ton premier roman ?
Il me reste quatre exemplaires de mon premier roman « Allons voir si la rose » sur les cent cinquante commandés. Actuellement, je me pose donc la question de savoir s’il est plus judicieux de recommander une centaine d’exemplaires de ce roman auprès de mon imprimeur ou s’il me faut tenter de chercher un éditeur pour cet ouvrage afin d’étendre mon lectorat…
Si c’était à refaire, ferais-tu la même chose ou autrement ?
Même si l’autoédition est semée d’embûches, je referais probablement la même chose car, si j’observe les choses autour de moi, je remarque que la plupart de mes consœurs et confrères en écriture ne cessent de changer d’éditeurs, ce qui m’indique que leurs expériences ne sont ni concluantes ni satisfaisantes. Partant de ce constat et ayant moi-même expérimenté l’édition à compte d’éditeur avec ses avantages et ses inconvénients, je pense qu’être devenue autoéditrice est une bonne solution car elle m’apporte la liberté d’agir à ma guise, le sentiment d’avoir fait le bon choix et la satisfaction de pouvoir publier moi-même mes ouvrages sans dépendre de personne.
C’est pourquoi, même si l’autoédition reste entachée d’une image négative, je la préfère à ce tourisme littéraire incessant qui certes fait tourner la grande roue de l’Édition, mais n’apporte le plus souvent pour seule contrepartie à l’auteur que le logo d’une « maison » sur son livre.
Cependant les temps changent. L’accès à l’édition se démocratise. De nombreux auteurs autoédités cartonnent sur des plateformes diverses et sont récupérés par les éditeurs qui les publient sous leur bannière. On peut donc désormais choisir entre plusieurs formes d’édition. Reste à faire évoluer le monde de l’édition vers cette nouvelle donne. Qui sait ? je suis peut-être un peu trop en avance sur mon temps, l’Autoédition d’aujourd’hui est peut-être l’Édition de demain !
Je pense qu’être devenue autoéditrice est une bonne solution car elle m’apporte la liberté d’agir à ma guise, le sentiment d’avoir fait le bon choix et la satisfaction de pouvoir publier moi-même mes ouvrages sans dépendre de personne.
Juin 2022